Texte : Pascal Rambert
Mise en scène : Pascal Rambert
Durée : 3h35
Cour d’honneur du Palais des papes – Avignon
11 07 2019
La cour d’honneur du Palais des Papes est un grand carré. Devant le spectateur s’élève la façade gothique en pierre du nouveau Palais derrière laquelle est située la salle d’audience. Les fenêtres alignées sur l’escalier d’honneur forment une composition aléatoire. Côté cour, trois arcs brisés sur des motifs d’arcs plein cintre, puis contre le bâtiment ouest une entrée majestueuse composée d’un arc plein cintre surmonté d’un arc brisé orné par une rosace supportée par quatre colonnettes.
La scène est organisée en salons sur un sol blanc. Chaque salon est ensemble de mobiliers de style Biedermeier, un tabouret et une table basse sur un tapis ; un canapé avec un fauteuil et un pupitre ; des chaises autour d’une table ; une chaise longue Thonet avec une table d’extrémité ; au centre, une machine de musique, au fond neuf lecteurs de bandes sur des socles parallélépipédiques. De part et d’autres sont alignées quatre tables couvertes d’une nappe blanche. Lors des deux dîners, les comédiens alignent ces tables au centre de la scène.
Nous sommes en juillet 1911. Tout commence dans une ronde. Une famille de la haute bourgeoisie viennoise est réunie, ils sont tous habillés en blanc. Jacques invective son fils Stan qui a éructé des onomatopées pendant sa remise de médaille honorifique – qui reviendra par la suite. Stan est accroupi, insolent, il ne regarde pas son père ; son frère, ses soeurs et leurs conjoint.es sont passifs.ves.
Jacques (Weber) est architecte, veuf, il s’est remarié à Marie (Sophie Ferdane) qui est poète. Son fils aîné Pascal (Rénéric)/Denis (Podalydès) est compositeur de musique, il est marié à Audrey (Bonnet), aussi musicienne ; le deuxième Stan (Nordey) est philosophe ; Emmanuelle (Béart) est psychiatre, elle est mariée à un militaire Arthur (Nauzyciel) ; enfin Anne (Brochet) est éthologue, elle est mariée à Laurent (Poitrenaux), directeur de journal.
Chacun des couples commente chez soi la scène de querelle entre le père et le fils. Marie fait le récit de sa rencontre avec Jacques. Ils embarquent tous en bateau sur le Danube pour rejoindre la mer Méditerranée : Bratislava, Athènes, Delphes…
La lecture architecturale du Parthénon lors de la visite familiale de l’Acropole fait écho à la magnificence du Palais des Papes “sous le ciel étoilé”. Il y a un dîner, cela fait deux ans qu’ils sont partis de Vienne. À Skopje, ils assistent à l’inauguration de la salle pour la musique symphonique. Vient Zagreb. Le 28 juin 1914 à Sarajevo, Laurent et Pascal/Denis apprennent au reste de la famille l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, dans la précipitation et la stupéfaction de l’événement, ils se mettent à le mimer. Ils continuent et arrivent à Trieste. Ils organisent un bal. Tout le monde s’enivre. Les meubles changent. C’est la première guerre mondiale.
Laurent est assassiné. Marie et Pascal annoncent leur départ. Un an après son arrivée sur le front en tant qu’infirmière, Marie décrit les gueules cassées. Elle prend une balle dans le dos qui lui paralyse définitivement le bas du corps. Tout s’inverse. Cette fois c’est Stan qui affronte son père. Il le qualifie de monstre, il revient sur son enfance et l’emprise tyrannique qu’a eu son père sur ses enfants et sur leur mère. Jacques est assis, le visage dans les mains, des larmes coulent : ne lui a t-il pas donné les conditions de son émancipation intellectuelle ? Un cheval arrive sur scène, il fait un tour, se couche et repart : il annonce la mort de Pascal. Audrey crie dans le silence.
Désormais, les morts vont revenir avec des bandes enregistrées. Aucun n’est sorti indemne de ce premier conflit mondial. Stan est parti à Los Angeles. Audrey appelle compulsivement et de toute ses forces : Viviane !
Épilogue. Nous sommes de nos jours. Les comédiens ont quitté leurs personnages. Ils sont tous assis autour des tables et sont chacun devant un ordinateur. Ils cherchent comment sont morts leurs personnages. Marie est agressée dans la rue par des nazis parce qu’elle est juive. Jacques meurt sur sa chaise. Audrey se suicide. Anne et Arthur trouvent la mort de la même manière que leurs aïeux. Emmanuelle aussi est agressée. Stan se jette du ponton de Santa Monica en repensant à son père. Toutes les bandes tournent, l’une crie, c’est Audrey qui appelle : Viviane ! Une jeune fille s’avance. Elle traverse la scène. Stan lui règle un micro sur pied. Elle dit : “Tout à l’heure, je n’ai pas compris, vous avez dit qu’il fallait s’attendre à des temps auxquels nous n’avions pas pensé.”
Le spectacle de Pascal Rambert est construit comme une suite de confrontations et de monologues puissants au sein d’une famille d’intellectuels pris dans le contexte historique unique du début du vingtième siècle, c’est-à-dire, l’avènement de la modernité et des deux guerres mondiales. Vienne était le centre d’un renouveau dans les domaines artistiques, la peinture, la musique, l’architecture, et le lieu de naissance de la psychanalyse. Ici commence la pièce. Dans une première partie on suit l’expédition de cette famille qui rend hommage à l’architecture et le berceau méditerranéen avant d’épouser le site de l’événement historique qui va déterminer la suite de l’histoire : l’assassinat de l’archiduc à Sarajevo. Tout se déroule avec des tensions entre le père et ses fils tyrannisés, l’un homosexuel, l’autre lunatique, ses filles et sa nouvelle femme, les rivalités et les ambitions des gendres. Puis tout se termine dans un bal flamboyant. Ensuite c’est la guerre, le déchirement, le point de non retour. Les uns s’engagent, les autres s’exilent. Les explications arrivent, mais trop tard.
Architecture est une fresque ambitieuse, traversée par des discordances et des trivialités mais portée par des comédiens exceptionnels. Rambert les a tous choisis spécifiquement et leurs a écrit plusieurs monologues intenses et bouleversants : le père humilié de Jacques ; l’enfant tyrannisé, la lettre de l’amant caché de Stan reçue avant le bal ; le rêve et la culpabilité d’Emmanuelle ; la folie d’Audrey ; les poèmes érotiques de Marie Sophie . “La parole est performative” dit le philosophe inspiré de Wittgenstein. Ici chaque prise de parole est une performance.
Texte : Benoît Maghe
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