Qui a tué mon père ?

Texte : Edouard Louis
Mise en scène / jeu : Stanislas Nordey
Durée : 1h50

La Colline – théâtre national
20 03 2019

La scène est circonscrite dans toute la hauteur par de grands panneaux représentant un paysage péri-urbain en noir et blanc : des maisons à deux ou trois étages avec de grands toits à double pentes dans un motif répétitif, au dessus – occupant les deux-tiers – de grandes silhouettes d’arbres, au travers desquelles on aperçoit une petite lune ronde. Des carreaux recouvrent la partie centrale de la scène, laissant un pourtour vierge. Au centre, une table simple autour de laquelle sont assis de profil un homme (Stanislas Nordey) et un mannequin figurant son père.

La pièce est un long monologue.

Comme dans un texte de Jean-Luc Lagarce, l’homme revient dans sa famille après un temps long. Il y retourne en train. Il est devenu un intellectuel reconnu. Son père est désormais séparé de sa mère. Victime d’un accident à l’usine qui lui a brisé le dos et contraint à reprendre un travail, il est diminué physiquement et quasiment muet. L’homme raconte des souvenirs.
Il retrace le parcours de son père et fait l’analyse de ses choix qui résultent des valeurs de sa classe sociale : la virilité, l’abandon de l’école le plus tôt possible, le refus de l’autorité, la force physique, l’alcool… autant de conditions de la reproduction de sa domination. Ses souvenirs dans le désordre témoignent d’une relation ambivalente avec son père : une chorégraphie un soir de Noël, un coffret vidéo du film Titanic pour son anniversaire, le mépris d’un chauffeur de bus… Son homosexualité pressentie est en-soi une remise en question totale des valeurs de sa classe et donc de son père.

Le spectacle est ponctué par des noirs brutaux accompagnés d’un bruit sourd, alors un nouveau mannequin de père apparaît. Ils se positionnent  autour de l’homme dans l’espace central : le premier assis de profil, puis appuyé contre la table de dos, debout, allongé… jusqu’à cinq. L’homme les porte un à un et les dépose hors de cet espace, lieu de la parole. L’homme s’avance, le rideau tombe, il parle devant un mur sur lequel sont accrochés des sacs noirs dont on devine les reliefs, et forment des facettes. L’homme prend place dans un angle de la scène, cette fois il parle doucement dans un micro, le souvenir est plus intime. Alors il revient enfin au centre de la scène, de la neige tombe et l’homme se met à apostropher les hommes politiques des dernières décennies. Chaque président depuis Jacques Chirac est nommé avec un ministre, car chaque président, indépendamment de son orientation politique, a eu un gouvernement qui a promulgué une loi ayant dégradé de manière directe la vie de son père.

Edouard Louis n’a jamais caché l’inspiration révélatrice qu’a été pour lui la lecture de Didier Eribon. Depuis son premier texte, il revient sans cesse sur le rejet de son homosexualité par ses parents. Dans le texte d’Eribon, l’analyse sociologique est entièrement mêlée à l’histoire familiale. Ici les souvenirs sont trop nombreux et dissociés de la partie politique mais cela permet une scène finale poignante et révoltante à la fois. L’interprétation de Stanislas Nordey est stupéfiante : elle est une incarnation du texte au-delà du personnage.

 

Texte : Benoît Maghe



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