Trilogie de la vengeance

Texte : Simon Stone – d’après John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare, Lope de Vega
Mise en scène : Simon Stone
Durée : 3h45

Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier
20 03 2019

“Une histoire doit avoir un début, un milieu, et une fin mais pas nécessairement dans cet ordre.” Jean-Luc Godard

La trilogie de la vengeance est un dispositif. Les spectateurs sont répartis en trois groupes et tournent à chaque entracte entre trois salles contiguës, dans lesquelles les comédiennes jouent la même histoire tout en interprétant des personnages différents tandis que l’unique comédien – avec l’aide d’une doublure – répète les mêmes rôles. La célèbre phrase de Jean-Luc Godard est prise au pied de la lettre puisque tous les spectateurs verront la pièce dans un ordre aléatoire selon le groupe qui leur sera assigné.

Trois espaces :
A chambre d’hôtel, Paris
La scène est bilatérale, à angle droit. Une suite d’Hôtel est reproduite comme une boîte de verre double. Il y a la chambre avec un grand lit, un fauteuil, une table basse, un petit bureau, une banquette ; et une salle de bain avec des toilettes, un évier, une douche italienne ; elle permet d’autres entrées et sorties.
B restaurant chinois, Le Havre –  fête du mariage d’Irène et Jean Baptiste
La scène est frontale : une devanture de restaurant asiatique dont on voit une première salle avec quelques tables, un étalage caractéristique et une porte qui s’ouvre sur un trottoir. C’est le soir du mariage d’Irène et Jean Baptiste, le marié a disparu. Il est sorti pour acheter un paquet de cigarettes mais cela fait plus d’une heure que personne ne l’a vu. Seule la mariée attend en mangeant des nems.
C salle de réunion agence de voyage, Le Havre – meurtre de Jean Baptiste
La scène est bi-frontale. Au centre un espace longitudinal dont le sol est à hauteur du regard : c’est la salle de réunion de l’agence de voyage de la mère de Jean Baptiste, d’un côté un accès aux toilettes, un petit salon, de l’autre côté, une table de réunion, des étagères. Des femmes constatent la mort de l’homme qu’elles ont séquestré.

Intrigue générale dans l’ordre chronologique :
Un homme qui habite au Havre vient chercher sa fille Séverine qui a fui dans un hôtel à Paris. Lorsqu’il la retrouve, son amant est sorti. Elle lui avoue qu’elle couche à tout va. (A)
Quelques semaine plus tard, le soir du mariage d’Irène et Jean Baptiste, le frère de Séverine qui a disparu. La fête a lieu dans l’arrière boutique d’un restaurant chinois, les gens viennent s’isoler dans la salle sur rue. La mère d’Irène, bourgeoise sans argent veut obtenir une pension de sa nouvelle belle famille. Séverine est enceinte suite à son séjour à Paris, elle se confie à sa soeur Elise ; nerveuse, elle veut le révéler à tout le monde. Finalement Jean Baptiste revient dans un grand état de trouble, c’est lui l’amant de Séverine à Paris et celui dont elle est enceinte. Une violente dispute éclate entre le père et sa fille qu’il étrangle sous les yeux d’une serveuse. (B)
Quelques années plus tard, Irène a divorcé de Jean Baptiste dont elle a eu deux filles. La police – dont le père de Séverine faisait parti – a fait passer sa mort pour un suicide. La fille de la serveuse du restaurant chinois de leur mariage l’a contactée pour lui dire quelque chose dont elle ne pouvait parler par téléphone : sa mère devenue sénile ne cesse de se remémorer le soir de leur fête et évoque un meurtre à propos de cet accident. (A)
Florence, l’assistante de Jean Baptiste prépare la chambre d’Hôtel. Elle reçoit une jeune fille Adeline, lui explique ce qu’il va se passer, lui fait un examen de virginité. Elle sort, Jean-Baptiste entre. Alors que doivent commencer les ébats, il s’effondre. (A)
Le jour du départ de Florence de l’agence de voyage de la mère de Jean Baptiste. Ni Chantale ni Elise ne sont au courant, Florence a choisi elle-même sa remplaçante. Dégoûtées par le harcèlement et les tentatives de viols de Jean Baptiste, toutes les employées ont décidé de le séquestrer avec l’aide de la fille de la maîtresse de Florence. Jean Baptiste succombe à ses blessures.(C)
Les deux filles d’Irène, Nadia et Séverine ont rendez-vous avec leur mère pour leur annoncer la mort de leur père Jean-Baptiste. Nadia a appris  qu’elle était l’enfant d’un amour de passage. Elle s’absente et Irène révèle que Séverine est née de leur dernière union brutale durant laquelle il l’a appelée Séverine et a voulu que son enfant ait ce même prénom. (A)

Simone Stone a construit sa pièce comme une réflexion sur le théâtre élisabéthain et les rôles que ses auteurs attribuent aux femmes – joués à l’époque par des hommes, par ailleurs. Il reprend les intrigues emblématiques de John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare, Lope de Vega et compose une écriture de plateau avec ses comédien.ne.s : inceste, infanticide, viol, trahison, mensonges, tous les ressorts sont utilisés. Scénographiquement, il déploie un dispositif sophistiqué – les rôles s’échangent en coulisse – mais cela reste quasiment opaque pour le spectateur. Malgré des interprétations remarquables et une direction artistique rutilante, le spectacle souffre de sa construction théorique qui se révèle plus ludique que pertinente. Les ressorts dramatiques et les dialogues sont contraints par le timing imposé par les changements.
Finalement, le projet ambitieux se retourne contre lui, et ne dépasse pas les problématiques qu’il interroge.

 

Texte : Benoît Maghe



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